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MCA-Burkina : Les vérités de Sirima

Le saviez-vous ? Aujourd’hui mardi 22 avril 2014, nous sommes à exactement 100 jours du jeudi 31 juillet 2014. Vous n’y voyez toujours que dalle ? Eh bien sachez que c’est à cette date qu’interviendra la fin du Compact-Burkina, du nom de cette aide américaine à notre pays pendant une période de cinq ans.
D’un montant global de 481 millions de dollars, le Millenium Challenge Account (MCA-BF), où fonds alloué à ce programme, vise à réduire la pauvreté à travers la croissance économique durable.
A quelque trois mois de cette échéance, sans ambages, le coordonnateur du MCA-BF, Bissiri Joseph Sirima, revient sur la mise en œuvre du projet, dont le départ a connu d’énormes difficultés : ainsi, par exemple, des nombreuses erreurs commises par les bureaux d’études peu rompus aux grands travaux, de l’incompétence de certains experts aux CV surfaits ou des mauvaises habitudes de travail de l’Administration.
Malgré tout, l’objectif de 100% d’exécution de cet accord bilatéral est aujourd’hui chose presque acquise. Et la perspective d’un second Compact s’annonce sous de bons augures, avec ou sans Blaise Compaoré au pouvoir après 2015. «Je ne pense pas que les Américains aient la prétention de s’ingérer dans les affaires politiques du pays», a assuré le patron du MCA-BF jeudi dernier dans son vaste bureau sis au cinquième étage de l’immeuble Barack Obama à Koulouba.


Monsieur le Coordonnateur national, plus que 100 jours et le Compact du Burkina Faso prendra fin. L’un de vos objectifs de départ était d’exécuter ce Programme à 100% ; est-ce que vous êtes aujourd’hui en mesure de tenir cet engagement ?

• Effectivement, nous serons à la date du mardi 22 avril 2014 à 100 jours de la fin du Compact du Burkina Faso et nous nous étions engagé d’exécuter à 100% le Compact. Mais le deuxième objectif qui n’est pas directement lié au Compact est que j’avais pris l’engagement non écrit d’amener les Burkinabè à adopter le «Faso Danfani». C’est quelque chose que je me suis assigné dès que j’ai été nommé parce que j’allais être amené à faire des tournées, et j’ai trouvé que c’était une occasion forte d'amener les leaders d’opinion, les fonctionnaires et autres personnalités à adopter le "Faso Danfani". Je puis dire aujourd’hui que les deux objectifs pour moi sont pratiquement atteints.

Pour revenir au premier objectif, nous sommes aujourd’hui à un taux d’absorption d’environ 95%. Ce qui veut dire qu’à ce jour, tous nos engagements par rapport au Programme sont sur le point d’être finalisés. Et nous pensons que nous allons pouvoir atteindre l’objectif des 100%.

En ce qui concerne l’adoption de notre tenue traditionnelle, lorsque vous regardez les images il y a 06 ans et celles d’aujourd’hui, vous verrez la différence. Maintenant les gens n’ont pas honte de le porter, ils sont fiers même d’y adapter des modèles de couture. Que ce soient les hautes personnalités ou les cadres, tout le monde s’y est mis et pour moi c’est un autre motif de satisfaction.

Est-ce à dire que vous profitez du MCA-BF pour cela ? C’est quand même étrange que vous greffiez cet objectif non écrit à celui du Compact car on a du mal à voir le lien.

• Le lien est indirect ! En réalité, je pars du principe que l’objectif primordial du Compact est de réduire la pauvreté par l’accélération de la croissance. Comment voulez-vous accélérer la croissance si vous continuez d’importer de l’extérieur ? C’est difficile. Vous avez vous-mêmes des produits, de la matière première que vous allez enlever et exporter à l’état brut, pendant que vous pouvez déjà transformer une bonne partie pour la consommation intérieure. Voyez-vous le lien maintenant ? Et pour moi la meilleure manière de distinguer un Burkinabè, c’est le «Faso Danfani». On ne force pas les gens à le porter. Lorsqu’on obligeait les gens sous la Révolution, je ne le faisais pas personnellement parce que la force ne résout rien. Mais lorsqu’on l’adopte et qu’on explique que c’est nécessaire parce que c’est pour notre propre croissance économique, les gens comprennent et l’intègrent. Mais à défaut, passons par des leaders d’opinion, des gens qui servent de modèles à beaucoup de personnes. Si on voit des gens qui sont capables de se coudre des tenues à l’extérieur s’habiller en «Faso Danfani», les autres les copient sans même le savoir. Pour moi, pour que nous puissions atteindre la croissance, il faut que nous absorbions ce que nous produisons parce que quand vous regardez les cours monétaires, ce sont des cours fantaisistes. On fait tomber le dollar quand on veut et on le fait monter quand on veut et vous verrez que c’est souvent au moment où nous récoltons et que nous devons exporter nos productions que le dollar est bas et après ça monte. Ça a l’air du hasard, mais c’est la réalité des échanges internationaux. C’est pour ça que je me suis assigné cet objectif qui n’était pas écrit.

En chiffres, à combien correspondent les 95% déjà absorbés ?

• Le Compact c’est environ 481 millions de dollars américains. 95% représentent environ 460 millions de dollars d’engagement.

95%, c’est un beau chiffre ! Mais sûrement que dans la mise en œuvre vous avez rencontré des difficultés. Lesquelles ?

• Les difficultés sont de trois ordres. Il y a d’abord celles qui sont inhérentes aux études préalables aux grands travaux. Les projets du Compact sont de gros travaux, et qui dit travaux, dit études préalables, et qui dit études, dit marchés et contrats. Je dois avouer que nos équipes n’étaient pas forcément averties de l’appréciation de travaux aussi importants et donc gérer et discuter sur des contrats de ce genre au début du Compact n’a pas été chose simple. Je peux dire donc que nous n’avons pas fait attention à beaucoup de choses parce que nous n’avions pas l’expérience. D’abord, dans la formulation des contrats, on est mieux averti aujourd’hui, mais surtout dans la définition des tâches et dans l’appréciation des résultats d’études. Si je prends le cas des routes, pour la plupart, les bureaux qui ont réalisé ces études ont fait des erreurs qu’il a fallu corriger mais qu’eux-mêmes refusent de corriger parce qu’ils font également le contrôle. Ce sont des erreurs commises et que nous n’avons pas eu suffisamment de temps et de compétences pour déceler si ce n’est au moment de l’exécution, ce qui a entraîné un retard par rapport aux prévisions...

Secundo, lorsqu’une entreprise, qui doit exécuter un projet, se rend compte qu’il y a par exemple des risques d’inondation d’une route qu’elle doit réaliser, la tendance a été de prendre du temps en discussions pour y remédier, par exemple, alors que ces gens étant rompus dans le domaine, ils auraient pu proposer des solutions rapides à adopter. Et la difficulté est que si vous voulez les attaquer en justice pour résilier un contrat, ils ont des avocats pour vous tenir tête et vous faire perdre du temps.

Mais comment s’est fait le choix des bureaux d’études pour qu’il y ait autant de problèmes ? N’y a-t-il pas eu d’appels d’offres ?

• Bien évidemment, des appels d’offres internationaux ont été lancés en toute transparence ! Mais il faut avoir les compétences requises. Les entreprises vous présentent des Curriculum Vitae (CV) brillants mais le temps de finir d’analyser les offres et de publier les résultats, c'est-à-dire qu’une fois que vous sélectionnez une entreprise, elle commence déjà par vous dire qu’un expert qui était l’ingénieur principal n’est plus disponible et qu’elle propose de le remplacer par quelqu’un d’autre. Qu’allez-vous faire ? Allez-vous refuser ? On vous met des gens qui sont forts et connus mais au finish on vous sort d’autres gars de son chapeau. Et lorsque vous analysez de près, ce sont des CV bien huilés et travaillés, mais une fois l’expert sur le terrain, vous vous rendez compte qu’il est incompétent. Ou bien il vient et il n’est pas tout à fait ce qu’il faut pour ce poste. Ce n’est donc pas le problème du choix, c’est le problème de l’après, car on a eu des cas où on nous a produit des certificats médicaux pour nous dire que tel expert n’est pas disponible. A ce moment, qu’allez-vous faire ? C’est difficile.

Quelles sont les deux autres difficultés que vous avez rencontrées ?

La deuxième série de difficultés concerne le personnel qui est issu pour la plupart de l’Administration. Il faut l’avouer, lorsqu’ils viennent de l’Administration générale, en principe, ça va encore parce que vous les utilisez à des tâches plus ou moins de même nature. Mais si vous avez du personnel spécialisé tel que celui des Infrastructures, de l’Agriculture, de l’Eau, des Passations de marchés, honnêtement, ces gens viennent avec de mauvaises habitudes qui sont perpétuées, avec des habitudes et des relations bizarres entretenues depuis leur ministère d’origine. C’est difficile !

Si je prends par exemple les Passations de marchés, nous discutons de tout ici et tout se fait ici, malheureusement ou heureusement, on est obligé d’avoir recours à des techniciens des ministères et pour la plupart, il y a des accointances et ça pose des problèmes de mise en œuvre. Une entreprise est sélectionnée pour des raisons bien justifiées parce qu’ils ont l’habitude de travailler avec, alors que ce n’est pas ça du tout. Et à l’exécution, nous avons des problèmes avec les entreprises en question. Un autre problème est que nos gens n’ont pas l’habitude de gérer de gros contrats. Nous avons nommé des Administrateurs de contrats mais les gens se contentent de prendre les dossiers et de les déposer sur les tables alors qu’il faut commencer par lire et s’approprier le contrat et ensuite vous sortez sur le terrain et vous anticipez sur l’évolution des choses. Si l’entreprise doit par exemple faire une livraison tous les deux mois, vous n’attendez pas à la date échue pour réclamer, mais vous faites des rappels deux semaines avant. J’ai toujours été contre ce suivi que j’appelle passif. En principe, il faut un suivi proactif des contrats c’est-à-dire qu’il faut anticiper et ajuster. C’est ce qui permet d’avancer et d’être à jour.

La troisième série de difficultés est liée à l’Administration elle-même. Vous savez, nous avons dans le Compact des conditions de mise en œuvre dites Conditions Précédentes et autres que nous avons négociées avec les ministères des secteurs concernés. Nous avons pris le soin d’amener des ministres et des techniciens des ministères concernés au moment des négociations pour qu’on ne dise pas que c’est l’Unité de Coordination qui a pris des décisions sans l’avis des autres ministères. Nous n’avons fait que recadrer, mais le choix de tel ou tel axe de projet a été fait par les ministres concernés. Lorsque nous allons prendre un engagement international, et que parce que les choses ont changé et que de nouveaux ministres pensent qu’ils peuvent changer les choses, vous passez encore du temps à discuter inutilement pour faire comprendre les choses. Pourtant, c’est un engagement de l’Etat et l’Etat n’a pas changé. C’est la grande difficulté que nous avons rencontrée sinon je pense qu’il y a un an on aurait même déjà fini tout le Compact. Je peux dire qu’on a pratiquement perdu un an avec l’Administration. Il y a deux choses principales pour lesquelles nous avons perdu trop de temps. Il s’agit, en premier lieu, de la restructuration du FER-B, le Fonds d’entretien routier du Burkina, des textes y afférents et tout. Nous y avons perdu tellement de temps que cela a failli hypothéquer le démarrage des travaux de la première route du Compact qui est celle de Dédougou-Nouna-Djibasso-Frontière du Mali (long de 143,7 km). Puisqu’il fallait, pour commencer les travaux, qu’on ait réalisé d’importants progrès dans la réforme du FER-B.

Malheureusement, les choses piétinaient à ce niveau. Or si on ne démarrait pas rapidement les travaux avec les délais qu’on demandait à l’entreprise, on n’allait pas pouvoir tenir et on risquait de ne jamais commencer. Il a fallu que nous anticipions pour demander au bailleur de fonds, qui heureusement nous a compris, de changer le point de conditionnalité. Au lieu de maintenir la Condition Préalable sur la route Dédougou-Nouna-Djibasso-Frontière du Mali, nous avons demandé à la déplacer sur la route Banfora-Sindou (long de 50,3 km) qui allait commencer bien plus tard et qui est plus courte en termes de kilomètres à bitumer et avait également un délai plus court. Il a fallu donc une telle jonglerie pour éviter une catastrophe. Je vous parle sérieusement.

En second lieu, vient la réforme de l’Autorité de mise en valeur de la Vallée du Sourou (AMVS) avec laquelle on a également pratiquement perdu un an. La preuve a été faite aujourd’hui que l’inefficacité de l’AMVS tient du fait qu’elle n’arrivait pas à jouer son rôle, c’est-à-dire arriver à conduire l’eau du barrage jusqu’aux stations de pompage pour desservir les parcelles. Beaucoup de caniveaux sont bouchés et d’autres anomalies sont présentes. L’AMVS n’avait donc pas les moyens nécessaires pour faire ce travail. Le Gouvernement, qui s’était promis de donner les moyens à l’AMVS pour faire ce travail, ne le faisait pas comme il se doit. Aujourd’hui, on a donc dit que pour commencer les travaux d’aménagement de la Vallée du Sourou, il faut qu’on restructure l’AMVS qui doit prendre les rênes après les cinq (5) ans du Compact en ce sens qu’il faut la rendre efficace en allégeant son système de gestion et en la rendant autonome dans son statut d’Etablissement public de l’Etat à caractère économique (EPE) avec une gestion et une comptabilité de types privés pour qu’elle soit plus efficace. Il y a également un plan d’action qui découle de la restructuration. Mais le plus grand goulot d’étranglement de nos jours reste l’AMVS. D’importants investissements ont été faits dans la Vallée du Sourou et si la structure qui doit prendre le relais n’est pas assez outillée, après le Compact ce sera la débandade sur le Périmètre irrigué.

Voici donc les grandes difficultés au niveau de l’Administration. Cependant, je dois souligner que le MCA-BF a bénéficié de l’accompagnement des plus hautes autorités car à chaque fois qu’il y a eu des goulots dont ceux cités plus haut, nous nous sommes retournés vers le Premier Ministre, qui a toujours eu une réaction immédiate en convoquant, entre autres, des réunions interministérielles au cours desquelles le problème est posé et des solutions sont trouvées.

Il faut aussi souligner que le système américain constitue pour nous une nouvelle expérience car c’est un système très pragmatique et juridique parce qu’à chaque fois ils analysent ce que le contrat permet ou pas. Ce n’est pas souvent facile mais si vous vous énervez, vous faites perdre quelque chose de très important à votre pays. Il faut donc encaisser et calmement amener le bailleur aussi quand il se fâche à se calmer parce que le comportement d’un seul individu peut causer des dommages irréversibles pour le Programme. Et ça c’est une pression que l’on a gérée tout au long du Compact.

Vous avez évoqué l’incompétence de certaines entreprises dans la mise en œuvre des projets. Un cas qui nous est revenu, c’est celui du Ganzourgou où il semble que vous avez dû retirer des marchés à des entreprises défaillantes. Quelles étaient la nature des problèmes ?

• Nous ne pouvons pas stigmatiser que ce cas. Pour les Passations de Marchés, nous avons utilisé un système inédit qui consiste en un choix de groupes d’entreprises sur la base de leurs qualifications. C’est-à-dire que nous lançons d’abord un avis de manifestation d’intérêt (par exemple si nous voulons construire des complexes de bâtiments dans les communes, quelles sont les entreprises qui pourraient être intéressées ?) avec les conditions. Celles qui sont intéressées fournissent des dossiers où elles mentionnent, entre autres, leurs chiffres d’affaires. Sur la base de ces documents, on choisit les entreprises qui ont quand même un chiffre d’affaires sérieux, ce qui veut dire qu’elles ont une certaine expérience. Si une entreprise déclare par exemple 20 millions de chiffre d’affaires par an en construction, vous ne pouvez pas lui confier un marché de 200 millions sinon vous aurez vous-mêmes cherché vos problèmes. Si une autre par contre présente un chiffre d’affaires de plus d’un milliard par an, elle a la prétention de pouvoir exécuter ce genre de contrats. Une première liste est faite et sur cette liste, les meilleures entreprises sont choisies et nous leur demandons de nous faire des propositions de prix pour réaliser un projet donné. Une fois les propositions faites, on choisit les meilleures. Pas forcément en termes de prix parce que le moins-disant n’existe pas chez nous. C’est-à-dire qu'une entreprise est sélectionnée parce qu'elle justifie d’une plus grande capacité financière, de plus de savoir-faire, de plus d’expérience et les négociations sont menées avec l’entreprise sélectionnée. Ce n’est donc pas obligé que le moins-disant soit sélectionné, nous privilégions plutôt le temps et la capacité de bien faire notre travail. Sur la base de cette qualification, il y a des entreprises qui ont eu 5 complexes de bâtiments communaux à construire, d’autres 3 et d’autres 2. On les laisse commencer les travaux et le MCA-BF assure le suivi. S’il n'y a pas de résultats au bout de 3 mois, l’entreprise est interpellée. Si au bout de 6 mois, les travaux sont toujours à la traîne, nous nous disons qu’il y a des risques de dérapages et nous retirons immédiatement le marché pour le réattribuer à une entreprise qui est bien avancée sur ses chantiers. C’est ce qui est arrivé à Guiba, Boudry et Mogtédo. Il y a eu effectivement ces trois cas où il y a eu des difficultés avec les entreprises chargées de la construction des complexes de bâtiments dans ces communes. Une réattribution est faite et nous avançons.

Toutes ces difficultés font que l’un des principaux problèmes que rencontrent les projets et programmes de développement au Burkina Faso, c’est la pérennisation des acquis. Quels garde-fous ont été pris pour éviter une telle situation ?

• Effectivement, l’une de nos préoccupations principales dans tout ce que nous faisons est ce que nous appelons la durabilité. Si ce qu’on doit exécuter doit durer deux jours, ce n’est pas la peine. C’est pour cela que par exemple pour les routes, il y a la construction qui est faite mais à côté, pour la durabilité, nous avons mis en place le Fonds Incitatif pour l’Entretien Périodique (FIEP) des routes qui fait partie de la réforme globale du FER-B. Ce fonds permet au Gouvernement de pouvoir durablement continuer d’entretenir les routes parce que lorsque le pays a demandé à réaliser 1000 km de routes bitumées dans la première proposition du Compact, nos partenaires ont relevé le fait que le Gouvernement burkinabè n’arrive même pas à entretenir celles existantes d’où l’importance du FIEP. Le FIEP est donc une révolution dans la sous-région et est mis à la disposition du Gouvernement au niveau du ministère des Infrastructures pour avoir une mise à jour périodique de toute l’enveloppe des routes , c’est-à-dire qu’il y a un programme qui a intégré toutes les données des routes construites à partir desquelles, il met à jour les dégradations qui surviennent et définit chaque année les routes qu’il faut nécessairement entretenir. Sur cette base donc, vous programmez l’entretien, alors qu’avant, c’était un peu à la tête du client et en fonction du choix du Gouvernement ou de tel ou tel bailleur. Sur cette base, le Gouvernement négocie avec les bailleurs le complément pour l’entretien périodique. C’est donc un exemple concret de recherche de durabilité et on a formé tous les agents du ministère sur un logiciel connu et utilisé par les bailleurs pour la construction et l’entretien des routes pour pouvoir faire l’étude de rentabilité économique des routes. Nous disposons désormais de données pour soutenir des dossiers de construction de routes.

Si nous prenons également le quadrillage du pays par un système géomètre et géodésique, nous avons formé, pour ce faire, des géomètres et des agents du cadastre à l’utilisation de ce nouvel outil.

Pour la réforme foncière, nous avons mis en place dans les 17 communes pilotes et les 30 autres, des Agents de Services Fonciers Ruraux (SFR), des Commissions de Conciliation Foncière Villageoise (CCFV), des Commissions Foncières Villageoises (CFV) pour que la réforme soit pérenne. Pour nous, la durabilité est donc quelque chose de fondamental dans tout ce que nous faisons.

Mais si apparemment au niveau du foncier, des routes, les problèmes de pérennisation ne se posent pas, peut-on en dire autant au niveau de l’AMVS qui a connu de multiples problèmes que vous avez énumérés ?

• Je vous ai dit effectivement que c’est l’un des goulots d’étranglement. Et nos inquiétudes sont à ce niveau. Je pense que le Gouvernement est en train de s’activer pour résoudre ces problèmes parce que ce n’est pas pour le MCA-BF mais pour la pérennisation des investissements lourds des Américains et qui doit appeler d’autres investissements. Des mesures sont en train d’être prises pour assurer la pérennisation de ces investissements.

Pour revenir au foncier, certains observateurs estiment que c’est l’un des problèmes qui guettent le Burkina Faso, notamment avec l’accaparement des terres des autochtones par de riches citadins. Quel est le constat que vous avez fait vous au MCA-BF ?

• Je pense qu’à ce niveau, les gens confondent deux choses. La réforme qui a été faite vise à clarifier la question foncière. Avant on disait que la terre appartient à l’État mais le Gouvernement a pris en compte la situation réelle de la possession des terres et a subdivisé la propriété. Effectivement, ce n’est pas nouveau, les gens allaient voir les chefs de terre qui ne savaient même pas que la terre était quelque chose à vendre et qui coupaient une bonne partie pour offrir en échange d’un vin ou d’autres cadeaux dans sa naïveté ou dans sa bonté. Ça ressemble un peu à la méthode des colons à l’époque qui, à leur arrivée, nous ont fait signer des traités dits d’amitié et offraient des drapeaux à nos chefs qui étaient contents de les recevoir alors que derrière le drapeau, ils mettaient leur possession. Aujourd’hui, tu donnes du vin à un paysan qui, dans sa bonté, te donne une partie de son champ pour cultiver. La réalité est que la réforme est venue clarifier cette situation c’est-à-dire que lorsque vous voulez soit faire une exploitation soit une propriété, les différents cas sont bien définis. L’État cède des parts de son domaine aux collectivités, et il y a le privé, c’est-à-dire que si vous arrivez à avoir un titre de propriété, vous êtes propriétaires.

Maintenant, le second aspect est relatif à ce phénomène qu’on appelle agrobusiness qui voit les gens profiter de la situation qui existe et de la non-information des paysans pour s’accaparer des terres. Ça c’est autre chose. Je pense qu’il ne faut pas forcément être contre l’agrobusiness parce qu’on a suffisamment fait confiance aux paysans et cela n’a pas donné grand-chose, il n’y a que les gens qui ont suffisamment de moyens qui pourront vraiment amener le pays dans la grande importation. La petite exploitation demeurera pour subvenir aux besoins du paysan et de sa famille mais il ne faut pas compter seulement sur les paysans pour faire des cultures de rente importantes.

On se rappelle que la signature du Compact le 14 juillet 2008 était assortie d’un certain nombre de conditionnalités, est-ce que vous pouvez nous les rappeler ?

• Elles étaient de trois ordres : il y a d’abord les conditions de mise en vigueur c’est-à-dire de la signature à la mise en vigueur et de façon globale elles étaient relatives aux questions fiscales (les facilités fiscales, les exonérations d’un certain type), à des engagements qui devaient être pris par l’État (notamment l’engagement à assurer la sécurité dans les zones choisies pour l’agriculture qui connaissaient une certaine insécurité) ; puis il y a les conditions de mise en œuvre qui sont subdivisées en conditions générales et en conditions par secteur.

Mais quelles étaient les conditions d’éligibilité d’un pays ?

• Il y a à cet effet une batterie de critères qui étaient au nombre de 16 au départ et qui sont aujourd’hui passés à 20 réparties en 3 grands groupes : (i) la bonne gouvernance, qui regroupe les questions de corruption, de l’efficacité des Gouvernements, d’implication des populations à la vie politique, du respect des droits de l’homme…; (ii) investir dans le peuple qui concerne principalement l’éducation et la santé, (iii) et, enfin, l’environnement économique ou libertés économiques : l’inflation, la politique fiscale, le climat des affaires, etc.

Il semble qu’à la conclusion du Compact à Washington, la délégation burkinabé a été sauvée par une clé USB. C’est quoi cette histoire ?

• (Rires). Il faut savoir que le Burkina Faso a été le 17e pays à conclure un Compact et jusque-là, les 16 prédécesseurs ont fourni de gros dossiers dont j’ai pu voir certains lors de mes missions. Je me suis donc dit qu’il fallait que nous apportions une petite touche d’originalité propre à nous. Quand on a donc fini de tout rédiger et de tout finaliser, je suis allé voir l’Ambassadeur qui était Tertius Zongo à l’époque pour lui dire que nous voulions innover et que nous allions remettre notre dossier sur clé et que si jamais nos partenaires refusaient, nous allions revenir imprimer le dossier à l’Ambassade. Il a marqué son accord et quand nous sommes allés au MCC, l’Ambassadeur a présenté les choses et le partenaire a demandé à voir notre dossier. C’est alors que l’Ambassadeur a sorti une clé USB et l’a présenté en disant que c’est notre Compact comme ça en Anglais et en Français. Les Américains ont rigolé et nous ont applaudi et ont dit que nous sommes dans la « e » (Rires).

La question que beaucoup de Burkinabé se posent actuellement est celle de savoir si le Compact du Burkina Faso sera renouvelé. Avez-vous la réponse au jour d’aujourd’hui ?

• Lorsque les partenaires sont venus en novembre passé, ils ont effectivement analysé la question de reconduction qui est liée aux questions d’éligibilité dont on parlait et le Burkina Faso est l’un des rares pays de la sous-région à remplir toutes les conditions. On avait la moyenne en tout cas en novembre passé, et comme on doit signifier à un pays un an à l'avance s’il est rééligible ou pas, normalement le Burkina Faso n’aura pas de problème pour être rééligible. Je dois vous dire qu’à côté, pendant la même période, un pays comme le Bénin qui était rééligible à un deuxième Compact a été recalé. Il ne s’agit pas d’être rééligible, il faut continuer de l’être pendant toute la période. Dans la période des 6 ans, le Burkina Faso est resté rééligible. C’est pour vous dire qu’il faut surveiller tous les 20 critères concernant le Burkina Faso et faire en sorte que le pays ne chute pas parce qu’il y a des critères comme la corruption, l’éducation des jeunes filles et autres qui, s’ils ne sont pas remplis et que vous n’avez pas la moyenne, vous éliminent d’office.

Les perspectives sont-elles donc bonnes pour être rééligible ?

• En tout cas, ils nous ont dit que les conditions d’un deuxième Compact sont :
1- que le premier Compact s’exécute bien et là ils nous ont dit qu’on était sur la bonne voie ;
2- qu’il faut que l’équipe technique à Washington apprécie le Compact pour voir si le pays mérite un deuxième Compact, là aussi la majorité nous ont assuré que le Burkina Faso mérite d’être soutenu ;
3- cela concerne les critères d’éligibilité.

Est-ce vrai que les Américains conditionnent le renouvellement au respect par SEM le Président Blaise Compaoré de la clause limitative du nombre de mandats présidentiels ?

• Je n’ai jamais vu ça dans les 20 critères parce que ça n’existe pas. Est-ce qu’on peut venir dire à un pays de limiter des choses ou avoir des choses ? Non je ne pense pas que les Américains puissent dire ça parce qu’à mon avis tout est plutôt lié aux critères d’éligibilité c’est-à-dire que tant que l’un d’entre eux n’est pas en cause, il n’y a pas de raison qu’ils exigent ceci ou cela.

Mais le contexte politique peut jouer aussi sur certains critères. Est-ce que la perspective de la candidature de Blaise Compaoré ne peut pas jouer en faveur de notre élimination ?

• Je ne vois pas en quoi ça peut jouer parce que le pays est apprécié avec les critères de l’année N moins un. En quoi des candidatures vont jouer sur cela, je ne vois vraiment pas.

Même si cette candidature créé des troubles, les Américains sont-ils prêts à nous accorder un deuxième Compact malgré tout si nous respectons les critères d’éligibilité ?

• Là vous entrez dans un domaine de divination que je ne maîtrise pas totalement (rires).

Mais puisque la bonne gouvernance fait entre autres partie des différents critères, est-ce que la donne d’un nouveau mandat de Blaise ne peut pas influer en défaveur de notre candidature pour un deuxième Compact ?

• En quoi ? Bon je vais vous dire ça platement, s’il y a un référendum et que le peuple donne le Oui, vous voulez que les Américains se substituent au peuple pour dire que le Oui n’est pas normal ?

Vous voulez donc dire qu’ils ne vont pas s’ingérer dans la gestion de nos affaires ?

• Voilà ! Ils ne vont pas le faire. Je ne pense pas qu’ils aient la prétention de s’ingérer dans les affaires politiques du pays.

Restons toujours sur le terrain politique car vous êtes l’un des membres fondateurs du MPP. En tant que Coordonnateur National du MCA-BF, la décision n’a-t-elle pas été difficile à prendre ?

• Non. Est-il écrit que l’Administration doit appartenir à un clan ou à un parti politique ?

Non, on n’a pas dit ça mais on sait que pour être Coordonnateur National du MCA-BF, vous avez dû bénéficier de l’appui des autorités politiques burkinabè d’aujourd’hui et maintenant, vous démissionnez du parti au pouvoir pour aller de l’autre côté, est-ce que cela ne vous a pas posé dans une certaine mesure, un cas de conscience ?

• Non. Je pense qu’on ne va quand même pas prendre un âne pour mettre comme Coordonnateur National du MCA-BF. Je veux dire qu’à mon avis, j’ai été choisi parce que je peux faire quelque chose et que je bénéficie d’une certaine confiance. Je ne vais pas revenir sur toute l’atmosphère politique du moment car je suis Burkinabè et je sais ce qui se passe. Je ne pense pas non plus être exceptionnel, il a fallu choisir une personne à ce poste et je me dis quand même que cette décision a été et est toujours fondée sur les capacités intrinsèques à faire quelque chose qu’on attend parce que les autorités politiques ont aussi intérêt à ce que ce travail se fasse bien. Dans ce cas, il faut mettre quelqu’un qui sied. Je pense donc que la question de rentrer dans un parti ou de quitter un autre est une question de vision politique, de comment j’apprécie la marche des choses. Je n’ai jamais rêvé autre chose pour mon pays que la bonne gouvernance. C’est pour moi quelque chose de fondamental. Pour moi la démocratie n’est pas un mot mais une pratique qui doit l’être dans nos comportements. Je me dis qu’il faut que nous laissions quelque chose de positif à la postérité et la responsabilité des intellectuels va se jouer. Je n’ai jamais eu peur de dire la vérité à quelqu’un quand j’en ai l’occasion.

Mais depuis que vous êtes «passé à l’ennemi», vos rapports avec les responsables burkinabé sont-ils toujours aussi francs et cordiaux qu’avant ?

• En tout cas, je n’ai jamais eu de problèmes dans mes rapports parce que je n’ai jamais mélangé le politique et le professionnel. Je ne vois donc pas en quoi cela peut influer parce que mon supérieur hiérarchique qu’est le Premier Ministre me donne des instructions, je les exécute dans le sens du travail que je fais. C’est également avec la même célérité que lorsque j’expose des problèmes au niveau du Premier ministre, des réunions sont convoquées et les problèmes débloqués.

Finalement, quand on dirige une grosse machine comme celle-là, de combien d’heures sont faites les journées de travail ?

• (Rires). Nous sommes un peu liés au fuseau horaire américain parce que nous avons des échanges téléphoniques et vidéo avec Washington. Nous avons demandé à commencer le travail officiellement à 08h et à l’arrêter à 18h mais dans la pratique je n’ai jamais vu quelqu’un descendre avant 20h. Les gens se donnent véritablement dans leur travail. Quand quelqu’un sait qu’il doit attendre une vidéo-conférence avec Washington avant de partir à la maison, il restera même s’il y a du retard. Il faut savoir que nous ne payons pas d’heures supplémentaires ici parce que j’avais demandé à ce qu’on supprime cette façon d’inciter le personnel. Je ne la trouve pas efficace. J’estime que les heures supplémentaires entraînent une course effrénée et finalement les résultats ne sont pas tangibles. Par contre, quand vous avez d’autres manières de stimuler le personnel, ça porte mieux. Il est arrivé que des gens dorment ici dans leurs bureaux et qu’ils enchaînent le matin mais ce n’est pas sous des coups de bâtons. C’est d’eux-mêmes et c’est souvent bien après que j’apprends cela. Ce qui veut dire qu’il faut simplement amener les gens à comprendre qu’ils travaillent pour leur pays car c’est le Burkina Faso qui y gagne si on évite que de l’argent retourne chez le partenaire. Si on exécute bien le Compact, c’est tout le Burkina Faso qui bénéficiera des retombées.

L'Observateur Paalga
Entretien réalisé par
Alain Saint Robespierre
               &
Hyacinthe Sanou